04 octobre 2007

Le jour où j'ai touché le paranormal du bout des doigts

Je n'ai pas peur que des extraterrestres verts et velus ne viennent m'enlever. Je ne crois pas aux fantômes. Les voyantes ne feront pas fortune avec moi. Et pourtant, je dois admettre que j'ai été témoin - voire actrice - d'un évènement tout à fait étrange.

Eté 1998, j'ai 14 ans, et je suis en Pologne avec un groupe de jeunes. On était censé passer deux semaines sur un chantier pour aider à reconstruire une école et un temple à Drogomysl (j'aimerais beaucoup l'écrire correctement, mais il me manque plein de lettres sur mon clavier). Quand on est arrivé dans ce petit village du fin fond de la campagne de Petite-Pologne, grâce aux miracles des fonds européens, tout était déjà fini. Donc on a fait du tourisme. Je pense que je ne reconnaîtrais pas la Pologne si j'y retournais aujourd'hui (tout l'argent communutaure n'était pas encore arrivé à cette époque).

On a un peu silloné le pays en train et à pieds : Cracovie bien sûr, les mines de sel, Auschwitz et Birkenau, des parcs naturels, Varsovie, Sopot, et Gdansk. Tout le séjour était un peu surréaliste : je suis passée à la télé polonaise, et je ne sais même pas sur quel sujet (Andy Warhol n'a jamais dit qu'on devait en plus être satisfait de son quart d'heure de gloire). J'ai vu Boogie Nights en polonais dans un cinéma qu'on aurait dit un hôtel de passes (ça allait bien avec le film). Les vieux couraient presque quand ils nous voyaient arriver tellement on leur faisait peur, à parler étranger pour demander notre chemin (je te raconte même pas quand on essayait d'engager la conversation en allemand). On mangeait du fromage au petit déjeuner parce qu'on ne savait pas que des trucs en brique de 250 grammes, qui s'appelait "ser", ce n'était pas du beurre. On a découvert qu'à Auschwitz, pour que la promenade soit plus agréable pour les touristes, ils avaient tout repeint de frais, ils mettaient de jolies fleurs partout et il y avait des tables de picnic juste à l'entrée du camp.

Pour me tenir compagnie au cours de ce périple, j'étais partie avec une amie et des bouquins. Dont Si par une nuit d'hiver un voyageur d'Italo Calvino, qui est un bouquin absolument génial. Etant donné que tout ça remonte un peu, je me rappelle pas EXACTEMENT du pitch, mais je sais que c'est une mise en abyme vertigineuse. Calvino parle directement à son lecteur en lui disant "tu". Et il lui raconte l'histoire d'un lecteur qui lit son livre. Enfin pas celui-là mais un autre. Sauf qu'en fait, il cherche le livre qu'il est en train de lire. Bref, c'est un peu compliqué à raconter, mais c'est à mourir de rire. Et la frontière est volontairement floue entre celui qui lit, celui qui écrit, celui qui raconte. Le lecteur se perd délicieusement dans ce labyrinthe dessiné exprès pour lui, et à l'élaboration duquel il a réellement l'impression de participer personnellement.

C'est donc dans cet état d'esprit de flou littéraire qu'est passé mon voyage interminable en train de nuit qui nous menait à Gdansk. Tiens, c'est drôle, dans le livre, Calvino parle d'une gare. Mon train s'arrête d'ailleurs à une gare. Les coïncidences sont décidément troublantes. Le livre parle de Malbork, une ville polonaise dont je ne connais rien. Je lève les yeux, pour découvrir stupéfaite le panneau de la Polskie Koleje Panstwowe, la délicieuse SNCF polonaise, m'informant que nous étions précisément arrêtés à... Malbork. Trouble intense, hésitation métaphysique : comment un livre écrit en 1979 et imprimé en 1995 peut-il prévoir que je serais à Malbork précisément au moment où je tomberais sur cette page ?

C'était tout simplement fou. Il ne s'agissait que d'une pure - et fort surprenante - coïncidence. Mais le ton du livre était tellement "comme ça" que j'ai vacillé un instant. C'est réellement difficile à expliquer et à comprendre pour quelqu'un qui n'aurait pas lu ce livre. Mais le but de Calvino est JUSTEMENT de faire croire à son lecteur qu'il le voit, qu'il communique avec lui. Il a inventé le roman interactif bien avant la téléréalité et son "si vous voulez garder Paulette, tapez 1". Je n'aurais pas été aussi troublée si j'avais lu n'importe quel autre livre plus classique. Mais là, c'était... sidérant. Cet épisode reste pour l'instant l'expérience la plus incroyable qui me soit arrivée, à ma modeste échelle. A part ça, lisez ce bouquin, c'est un délice !

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Un autre tres beau parmi les livres d'Italo Calvino c'est le "chateau des destins croises"...pendant lontemps j'ai cherche a acheter le jeu de tarot dit de Bergame (jusqu'a Bergame d'ailleurs) associe a ce livre avant de realiser qu'il etait incomplet et que donc je ne le trouverais pas en magasin. puis j'ai fini par le trouver ou il est conserve, a la bibliotheque Pierpont Morgan sauf qu'a la boutique du musee...ils etaient en rupture de stock des repros et je suis toujours sans ce jeu de tarot.
ce livre et "si par une nuit d'hiver etc." sont une tres belle et originale facon de transformer le concept du recueil de nouvelles. voila un vrai ecrivain, qui ne puise pas son inspiration dans l'autofiction ou le fait divers romance. Cette formule des nouvelles liees entre elles a ete reprise par Charles Palliser pour le roman dont j'ai oublie le nom mais qui suivit le fameux Quincux, un delicieux roman d'ete plein de suspens a la Dickens.
le jeu troublant des coincidences de la vie et d'un livre, cela m'est arrive avec les "Tales of the City" d'Armistead Maupin, mais comme j'avais 2 fois et demi 14 ans, le paranormal m'a evitee :- )

Anonyme a dit…

Mademoiselle coco et columbine vous me donner très très envie de lire cet auteur...!
Quant à la coïncidence... je crois que j'aurais eu cette étrange sensation de paranormal...!

Anonyme a dit…

"donnez", pardon!

Anonyme a dit…

Il m'était arrivé presque la même chose! Je lisais un livre dont j'ai oublié le titre. A un moment il y a écrit ' Edith '. Je lève les yeux et aux infos parle une femme qui s'appelle Edith. Bon ok c'est peut-être moins effrayant... lol

Anonyme a dit…

Génial! Très jolie histoire.

Pas lu celui-là mais j'aime assez Calvino.

Mademoiselle Coco a dit…

Columbine > tu étais à San Francisco, ou à Londres, quand tu as lu les Chroniques ? ;-)

Marie > je pense que tu comprendras d'autant mieux ce trouble après avoir lu le livre !!

Marine > ayant une amie très proche s'appelant Edith, je vais éviter de compatir en reconnaissant à quel point une Edith peut être effrayante...

Ardalia > j'avoue n'avoir - malgré cette première expérience si enthousiasmante - lu aucun autre ouvrage de Calvino. Heureusement, j'espère avoir encore quelques années devant moi !

Anonyme a dit…

j'ai achete le livre a Londres, pour la couverture, sans savoir que cela se passait a San Francisco, quelques annees avant d'y aller. et puis avant de prendre l'avion pour SF, j'attrappe au hasard 2-3 bouquins a lire dans l'avion et le premier que j'ouvre une fois "confortablement" installee c'etait justement celui-la et je decouvre avec surprise ou cela se passe. durant ce sejour, j'ai lu 5 des 6 livres de la serie...c'etait assez magique