23 octobre 2005

Rattrapage en double décalage

Wow, quasiment deux semaines de récit de vie (trépidante bien évidemment) à rattraper… Difficile de commencer par le début, les souvenirs si frais se mélangent déjà. Je vais donc pouvoir améliorer mon style hautement durassien en déconstruisant sciemment le fil chronologique de mon existence. « Die Kunst, Recht zu behalten » dirait mon vieux copain Schopenhauer.

C'est marrant, je sens que mon intégration dans le système allemand commence réellement à se faire. Un tas de détails le prouvent :
- j'arrive en avance aux réunions car j'ai fini par comprendre que « réunion à 8h45 » ne signifiait pas « on se retrouve vers 8h45 » mais « à 8h45, la réunion commence ».
- je maîtrise mieux le clavier qwerty du bureau que l'azerty de mon mac chéri.
- je comprends et apprécie la subtilité linguistique des mails de Falkie, qui me font enfin rire.
- je mange du fromage au petit-déjeuner avec mon sacro-saint café au lait (parfois).
- je dis mon nom quand je décroche le téléphone avant même de dire allô ou bonjour.

Il me reste encore du chemin à parcourir avant d'être parfaitement allemande ; je n'y peux rien, mais d'entendre la secrétaire me dire, regard hautement réprobateur à l'appui « Sie sind späääääääääät » quand j'arrive dans son bureau à 15h00 (et peut être quelques secondes) alors qu'on avait dit 15h00, ça continue de me crisper. Mais pour une retardée chronique comme moi, c'est formateur. De toute façon, je crois que malgré mes efforts, mes collègues trouvent que je suis l'archétype de la Française. J'ai vaguement entendu une fin de phrase ressemblant à « typisch Französin », et sans vouloir être mégalo, je ne vois pas très bien à qui cette remarque pouvait concerner d'autre dans la salle : en dehors du fait que j'étais la seule Française, j'étais également la seule fille.

Et une autre collègue, qui vient de passer 3 ans en poste à Paris, m'a dit à quel point elle trouvait « parisienne » ma faculté à porter des talons aiguilles en toute occasion. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que je vais bientôt arrêter. Car s'il y avait une seule raison pour laquelle je ne devais pas aimer Berlin, je dirais que les petits pavés faisant office de trottoir et les Baustelle omniprésentes font définitivement de cette ville l'ennemie de toute femme en escarpins. Évidemment, c'est un drame local, et je ne comprends pas que les autorités publiques ne se soient pas encore saisies du dossier. Cette remarque, assez insignifiante à la base, de ma collègue a fini par la pousser à développer une théorie dont l'audace intellectuelle justifie pleinement qu'elle figure ici : selon elle, le style des habitants d'une ville serait déterminé par les conditions urbano-géographiques de cette dernière. Le « chic parisien » si réputé ne serait donc pas le résultat de siècles entiers dédiés à la recherche de l'esthétique parfaite, mais à de simples conditions matérielles permettant à celui-ci de s'exprimer. À l'inverse, le style « cool » des Berlinoises, qui ne portent jamais d'escarpins, ne serait dû qu'à l'impraticabilité des trottoirs de la ville. Comme vous pouvez vous en rendre compte par vous-mêmes, les couloirs du Ministère sont une sorte de think-tank (post-moderne, Adalbert ??) extrêmement performant mettant au point chaque jour de nouvelles théories permettant d'affermir la paix dans le monde.

En dehors de ces small talks de couloir - pour lesquelles je commence sensiblement à m'améliorer après des débuts catastrophiques - j'ai eu quelques activités culturelles pleinement satisfaisantes. J'ai eu la chance de visiter « dans le cadre de mes fonctions » (hihihihihihihihi) le Bundestag revisité par Foster. J'ai été plus qu'impressionnée par cette visite. La façon dont l'Histoire, même ses moments les plus noirs, est assumée et utilisée comme force intérieure, la place de premier choix laissée à l'Art et enfin la réussite architecturale de cette transformation font du nouveau bâtiment du Reichstag un monument incontournable de l'identité allemande contemporaine. Chaque élément du Bundestag, qu'il soit ancien et conservé, détruit et absent ou réinventé et flambant neuf, donne du sens à ce qui aurait pu n'être qu'un bâtiment officiel sans intérêt. C'est la première fois que je vois une réalisation architecturale symboliser de façon aussi parlante et matérielle des idéaux moraux tels que la volonté de transparence ou la tolérance. C'est aussi la première fois que je visite un bâtiment officiel qui réussit à m'émouvoir : les murs de la partie ancienne du Bundestag, couverts des graffitis en cyrillique laissés par les soldats soviétiques en 1945, ne peut pas laisser insensible.

Autre activité culturelle de ces derniers jours : j'ai été au cinéma voir ça



et ça



Forcément, ce n'est pas le même genre. Alors que le premier retrace le parcours de deux terroristes kamikazes en Palestine, le deuxième reprend le bouquin pour enfant le plus génial au monde. Pourtant, Mahomet et Roald Dahl ont un point commun : leurs livres respectifs donnent d'excellents films. Pour les dîners mondains, je vous recommanderais plutôt Paradise now, nettement plus facile à recaser dans une conversation spirituelle (même si gros risque de cassage d'ambiance si celle ci était à la légèreté et la frivolité). Pour un samedi après midi pluvieux, Charlie et la chocolaterie est l'antidote parfait à une soudaine morosité. Ca m'a même donné envie de relire pour la 6537ème fois le livre.

J'ai également assuré le financement d'un petit week end à Vienne, Londres ou ailleurs dans les prochaines semaines en faisant la traduction de la communication d'une historienne d'art pour un colloque luxembourgeois sur les œuvres d'art pillées pendant la 2nde Guerre mondiale. Le principal enseignement que j'ai tiré de cette expérience est que la traduction est une occupation plutôt intéressante, relativement peu compliquée et très rémunératrice. Sacrifier deux ou trois soirées de ma semaine pour m'offrir un vrai week end, je trouve ça assez honnête…

Dimanche dernier, petit tour au marché aux puces de Boxhagener Platz avec Eve avant d'aller se réfugier dans un café riquiqui aux propriétaires à moitié dans les cuisines à moitié sur la lune, histoire de prendre un bon chocolat chaud (mit Sahne, il est des habitudes qui ne se perdent pas) et une crêpe « à la russe ». À vrai dire, juste de quoi lutter contre le froid qui commence à envahir les rues berlinoises, porté par un vent mordant venu directement de Sibérie (je présume). Et juste de quoi reprendre des forces pour faire face à une nouvelle semaine de travail.

En réalité, ma semaine a été assez peu productive, étant donné que le Ministère recevait un groupe de jeunes diplomates français, en formation intensive au Goethe Institut et dans l'administration « du pays partenaire », selon l'expression consacrée. Le groupe était vraiment sympa et j'ai fait des rencontres intéressantes. Et je me suis rendu compte à quel point il était finalement plus facile de parler en français plutôt qu'en allemand. Nous avons été dîner dans l'un des meilleurs restos de la Kollwitzplatz, Zander, absolument hors de mes moyens (même après la traduction), mais néanmoins tout à fait recommandable (quand on peut s'y faire inviter). Le réveil a été plutôt douloureux le lendemain matin après cette délicieuse soirée, ses délicieuses conversations et son délicieux vin blanc.

Un resto indien en bonne compagnie hier soir m'a permis de clore cette semaine en beauté. Le programme de demain mêle tradition (le brunch du dimanche matin) et innovation (je vais tenter d'obtenir des Restplätze au Staatsoper pour voir le Cosi fan tutte mis en scène par Doris Dörrie).

Je vous laisse sur une remarque à méditer. Etant donné sa portée, je m'abstiendrai de fournir un quelconque renseignement sur le contexte et l'auteur : « Tu sais, on n'épouse pas toujours une femme parce qu'elle est intelligente » (en parlant de la sienne).

Aucun commentaire: