14 janvier 2008

Les titres, c'est nul

Je ne sais pas ce qu'il se passe en vous quand vous pensez à votre prof d'histoire-géo de terminale, mais moi, j'ai autant d'estime que d'affection pour elle. Et je suis émue. Surtout depuis que vendredi, elle nous a quittés après une maladie foudroyante.

Je ne lui dois pas tout, mais je lui dois beaucoup, et je lui disais à chaque fois que je la voyais quand je rentrais chez mes parents. Elle ne m'a pas juste appris Dien-Bien-Phû et la réforme agraire au Brésil. Si je suis là où je suis aujourd'hui, et si je suis qui je suis aujourd'hui, c'est vraiment grâce à elle.

Elle était fascinante, et m'a fait découvrir ce que pouvait vraiment être l'Histoire au-delà d'une suite de chapitres à apprendre dans un bouquin. Elle m'a appris l'exigence intellectuelle, la volonté d'aller toujours plus loin, et à faire des dissertations problématisées. Le jour du concours de Sciences Po, du haut de mes 17 ans, je n'aurais pas été loin sans les armes qu'elle m'avait fait développer en un an. Grâce à elle, j'ai eu 16 en histoire et 15 en géographie, et j'ai rejoint la rue Saint Guillaume (en revanche, je ne remercie pas mon horrible prof de philo pour mon 11 au bac et au concours). Sans elle, j'aurais fait une école de commerce quelconque, et je serais en train de vendre des lessives à des familles qui ne font jamais de tâches sur leurs vêtements. Donc quand je dis que je ne serais pas là sans elle, c'est pour de vrai.

Mais elle m'a appris bien d'autres choses, moins scolaires mais tout aussi nécessaires. Le sens critique pour commencer. Grâce à elle, désormais, quand je lis une tribune de BHL sur le conflit israélo-palestinien, j'arrive à faire la part des choses. Avant elle, je croyais un peu tout. Pour moi, BHL = intellectuel = ne peut qu'avoir raison. Je n'avais pas encore vraiment compris que les "intellectuels" étaient souvent autoproclamés, n'avaient pas la science infuse, et n'étaient pas toujours d'accord (et qu'ils ne peuvent logiquement tous avoir raison). J'ai découvert qu'il n'y avait, dans beaucoup de domaines, pas une vérité, mais différentes façons de voir la vérité. Je n'ai toujours pas perdu toute ma navrante naïveté, mais je me soigne. Réussir à lire un article de journal avec un oeil critique est indispensable, et me servira toute ma vie.

Elle m'a aussi appris qu'avoir des convictions et les défendre étaient une bonne chose. Oui, ses cours étaient engagés, et ce n'est en théorie pas le rôle d'un professeur que d'éduquer politiquement ses élèves. Mais peut-on faire de l'Histoire sans se mouiller et sans proposer une vision certes biaisée, mais vivante des évènements ? Ce n'était pas son rôle, mais elle le remplissait à merveille. Avoir un professeur qui sortait des sentiers battus des cours lisses et propres a sans doute été le plus enrichissant de tout.

Très égoïstement, j'aurais aimé qu'elle tienne quelques semaines de plus, le temps, peut-être, que je puisse lui annoncer une très bonne nouvelle. Pouvoir lui dire que cette fois-ci, j'étais vraiment arrivée à destination, toujours grâce à elle. Je ne pourrai jamais lui dire, mais en même temps, ce n'est pas le principal. Elle était bien plus qu'une prof d'histoire-géo...

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Gros bisou de compassion.

Moi, je vais juste t'apprendre un tout petit truc : les taches sales sont malpolies, elles ne portent pas de chapeau, en revanche, les tâches laborieuses, oui. Tout est question de valeurs...

Et un regros bisou.

Ashley a dit…

Plein plein de compassion, moi j'ai pleuré quand ma prof d'espagnol est morte, c'était vraiment quelqu'un de génial. Alors je comprends et je te bisouille

Anonyme a dit…

très bel hommage!

Anonyme a dit…

Bravo à cette prof, bon courage à toi et bonne chance pour la suite.

Unknown a dit…

Bel hommage, oui... :-)
Y'a des profs, comme ça, parfois, qui dépassent un peu leur rôle d'éducateur national mais ce n'est pas dramatique quand c'est bien fait... Mon prof d'éco était comme ça, et dès que j'en ai l'occasion je vais le saluer. Vraiment quelqu'un de formidable...

Unknown a dit…

Je comprends ta tristesse, et c'est un bel hommage que tu lui rends là! Pour ma part, c'est mon prof de maths de seconde qui m'a fait cet effet-là! A son décès, foudroyant également, j'étais déjà en fac et j'ai eu beaucoup de peine. Je pense encore aujourd'hui à sa façon de travailler et d'appréhender les choses.

Mademoiselle Coco a dit…

Ardalia > ça alors, je ne m'en étais jamais rendu compte (pour les tâches...)

Ashley > merci !! Ce sont ses deux enfants qui ont le plus besoin de bisouillage en ce moment je pense, donc je transmettrai.

Marie > et pourtant, je n'arrive pas à coucher sur le papier le quart de la moitié de ce que je pense d'elle.

Marie-Hélène > je ne suis pas certaine qu'une standing ovation soit de mise pour l'enterrement, mais elle le mériterait !

Mlle Crapaud > c'est dingue comme nos profs peuvent déterminer notre vie. Je ne sais pas s'ils ont conscience de cette responsabilité pesant sur leurs épaules.

Cagaroule > pourquoi ce ne sont jamais les profs nazes et inintéressants qui partent le plus vite ?

Anonyme a dit…

Toutes mes condoléances pour cette perte qui, à n'en pas douter, doit t'affecter au plus haut point.
Il y a quelque chose d'assez profondément bouleversant, de mon point de vue, dans la relation que tu décris et qui est celle qui unit le mentor au protégé, le maître au disciple, et qui confine à ce que j'aime à qualifier de "sublime" et que j'essaie de retrouver partout où je le peux. L'un des spécificités unique de l'espèce humaine est qu'elle est la seule, parmi tout le règne animal, à être "didactique" c'est à dire à pratiquer l'enseignement (et non l'éducation, c'est à dire la formation à la vie adulte)... Ce n'est donc que parmi nous que peuvent surgir de tels liens, fondés sur un échange immatériel, infiniment asymétrique, pas absolument gratuit mais résolument éperdu... auxquels on ne peut guère comparer, dans leur transcendance, que le lien filial.
Je n'ai pas moi-même eu la chance d'avoir un professeur que je puisse considérer comme un maître à penser, un mentor, même si j'en ai eu d'excellents et de mémorables... C'est un type de gratitude que j'aimerais bien avoir, celle que l'on éprouve envers ceux qui vous éveillent à l'esprit critique, à un art ou à une discipline, à la vie aussi tout bêtement. C'est une belle émotion que celle-là.
Un souvenir fait écho, toutefois, en moi, à ce que tu évoques dans ce billet. C'est ma grand-mère paternelle qui m'a appris à lire, je savais déjà lire en entrant en CP grâce à elle. Elle est décédée quelques mois avant que j'entre à l'X. Oh, il y a fort à parier qu'elle n'eût pas saisi la portée de l'évènement, elle souffrait de démence sénile depuis plusieurs années déjà. Mais j'aurais essayé, avec un tendre acharnement, de le lui faire comprendre, sans aucun doute, tant j'estimais lui devoir davantage qu'à tous mes autres éducateurs. Un Homme ne doit-il pas autant à celui qui lui a appris à lire qu'à ceux qui lui ont donné la vie? Peut-être...

Lux a dit…

La mienne aussi était engagée, mais se fendait toujours d'un petit "oups, faudrait pas que vous connaissiez ma position, tout de même!", même si on le comprenait bien vite! C'est beau comme hommage.

Mademoiselle Coco a dit…

Denys > alors je ne sais pas si j'ai eu beaucoup de chance, ou une tendance naturelle à la vénération des figures d'autorité plus marquée, mais j'ai beaucoup de professeurs qui ont autant influencé mon parcours qu'elle. Je penche pour la deuxième hypothèse...

Marine > nous, elle nous disait que c'était ses idées à elle et qu'on était suffisamment intelligents pour avoir nos idées à nous. Je crois qu'elle était optimiste, mais c'est bien parfois d'avoir des professeurs qui font confiance à leurs élèves !

Unknown a dit…

Je sais pas, mais ma mère était prof du coup j'espère qu'elle était topissime! :-)
En même temps, mes profs nazes je ne cherche pas à avoir de leurs nouvelles une fois partie de l'établissement. Il a pu leur arriver des bricoles...

Unknown a dit…

Gloups gloups gloups je me suis trompée juste là au dessus par rapport à ma maman!!!!