05 juin 2007

"J'aurai le monde sous le bras"

Les gens se rencontrent presque tous de façon banale : au bureau en pole position, dans un mariage en pole position moins 1. Mes parents ont fait beaucoup plus original, et c'est une histoire que j'aime beaucoup.

Mes parents se sont croisés en Afrique. Mais pas au même moment. Mon père était prof à l'ENA de Brazzaville (ouais, je sais, ça fait super classe, mais ça ne suffit pas à faire de moi une fille d'énarque, ce qui augmenterait mes chances statistiques de réussite au concours). Ma mère avait suivi sa meilleure copine partie rendre visite à son fiancé au Togo. C'était la grande époque de la coopération : tous les jeunes diplômés de France partaient dans l'Afrique qui expérimentait l'indépendance depuis une décade.

Ils n'y étaient pas au même moment, mais leur route a croisé celle d'un ami commun. Qui avait de photos à transmettre. Je ne sais jamais si mon père devait donner ces photos à ma mère ou l'inverse. Le fait est que ces deux inconnus se sont donnés rendez-vous un soir devant l'église de Saint Germain des Prés. Et là arrive le passage de l'histoire que je préfère.

Comme signe de reconnaissance, mon père avait joué la franchise : "je suis un peu chauve et j'aurai le Monde sous le bras". Si j'aime ce moment particulier, c'est parce que j'ai mis des années (mais vraiment des années, peut-être une bonne quinzaine) à comprendre que mon père n'avait pas réellement cherché à se faire passer pour un super héros.

En effet, durant toute mon enfance et bien au-delà, j'ai cru que mon père avait promis à ma mère non pas d'avoir le Monde, mais d'avoir le monde sous le bras. Le vrai monde, vous voyez. De même qu'on dit que l'avenir est à ceux qui se lèvent tôt, on peut très bien avoir le monde sous le bras, pensais-je. J'ai d'abord cru qu'il avait vraiment eu le monde sous le bras, un vague relent d'Oedipe ne me permettant pas de douter que mon père soit réellement un superhéros. J'ai ensuite cru que c'était une belle métaphore, censée impressionnée ma mère. Un air de dire "moi, je suis un sacré mec poulette, tu vas voir ce que tu vas voir". Et puis un jour, j'ai dû me résoudre à l'explication la plus probable, qui était qu'il avait ce stupide journal coincé sous le coude.

Bon après, l'histoire est plus floue. Il l'a invitée à prendre un verre. Je crois qu'il a un peu dû batailler, d'après ce que m'a subrepticement révélé une de leurs amies de toujours. N'empêche que je suis certaine que le fait d'avoir le monde sous le bras a été déterminant. Parce que moi, je serais vachement impressionnée par un superhéros, surtout s'il sacrifie son slip moulant et sa cape pour l'occasion.

free music


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10 commentaires:

Anonyme a dit…

En attendant, pendant 15 ans, il a été ton héros lui.
des bizettes

Anonyme a dit…

Je me surprends à revenir sur ce blog !
Ambiance étonnante de prime abord. Presque déconcertante pour moi.
Après la lecture de ce billet je ne regrette pas mon passage.
"Le monde sous le bras..." ca va me rester !

Anonyme a dit…

Tu ne m'aura pas avec ta chute humoristique!
C'est trop chemignoooon!! Rooooooh!!
(oui, je sors gâtifier ailleurs, ça va hein! Et la tendresse, bordel? ;-) )

Anonyme a dit…

Marrant ! En voyant le titre j'ai immédiatement repensé à ce prof d'Histoire, qui nous parlait de son prof d'Histoire (on aurait pu arriver jusqu'à Jules Ferry comme ça) qui, lorsqu'il entrait en classe, avait l'humanité sous le bras. Bon sang, quelle générosité devait avoir cet homme pour faire autant de place au destin humain! il m'a fallut quelques minutes (pas 15 ans non plus) pour comprendre, de même, qu'il avait en fait le journal l'Humanité sous le bras.
Le genre de jolies histoires qui passeraient forcément moins avec le Figaro ou Libé!
(Au passage, blog très sympa!)

Mademoiselle Coco a dit…

Mélina > j'avoue, même encore un peu maintenant. Je sais, c'est mal, mais je n'y peux rien :-) Et je préfère que de penser, comme d'autres pour leur père, que ce n'est qu'un vieux con que je méprise. Mieux vaut un peu trop aimer que pas assez.

Red > puisque tu ne veux pas me dire ce qui te déconcerte ;-) Bienvenue et re-bienvenue tout cas !

Ardalia > allez, pleurs un bon coup, ça fait du bien. Tu veux que je te remette la bande son de Titanic pendant qu'on y est ?

Raphaël > sois le bienvenu aussi. Il est vrai que l'humanité sous le bras, c'est franchement pas mal également !! Je tiens à souligner que s'il m'a fallu 15 ans, c'est parce que je manquais légèrement de discernement et de connaissance du monde journalistique les 10 premières années. Et disons pour les 5 suivantes qu'il s'agissait d'une douloureuse et pénible sortie de la caverne platonicienne.

Laurenn a dit…

Hello

Premier commentaire timide chez toi sur ce post qui m'a beaucoup touché.

J'ai tout de suite vu qu'il s'agissait du journal...

J'aurais bien aimé avoir une histoire telle que la tienne à raconter ;-)

Anonyme a dit…

ça change de ceux qui nous promettent la lune...
c'est joli...
Merci pour ton invitation...

Anonyme a dit…

Belle histoire en effet, le monde sous le bras, sans doute prêt à décrocher la lune après ce premier verre, ... bien plus encore, après.

Penser au/le monde est être une autre sorte de superhéros, plus discret, plus subtil, plus abstrait... et la lecture du quotidien y aide (un peu).

Revenir sur ce "blog de fille" a quelque chose de rafraîchissant. Ce qui déconcerte(peut être) c'est qu'il y a en fil rouge l'intelligence sensible ...

Bien à toi, Mademoiselle Coco,
Héloïm Sinclair

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup l'histoire... C'est rigolo ces trucs auxquels on croit quand on est petite et dont on ne veut plus démordre après, parce qu'ils font partie de la légende familiale, de nos propres fondations...

Mademoiselle Coco a dit…

Laurenn > bienvenue. Ce timide commentaire m'a l'air tout à fait normal ;-) N'hésite pas à laisser d'autres commentaires, timides ou affirmés !

Magda > oui, promettre la lune ou le monde, finalement...

Héloïm > comme je te l'ai dit, "ça c'est du compliment". Merci, je suis très touchée.

Petit chahut > je crois qu'on peut parler de réflexe pavlovien : même à l'âge de comprendre, je ne comprenais pas, parce que je m'étais toujours habituée à associer le monde à autre chose qu'à un journal... Et puis l'histoire aurait tellement perdu en poésie !