08 janvier 2007

Le jour où j'ai cru que j'allais porter un dentier

J'ai moi aussi porté durant quelques années le signe distinctif de la jeunesse occidentale : l'appareil orthodontique, le barbelé entre les dents, la ferraille qui ne rouille jamais. Bien que mes parents aient eu la bonne idée d'aller chez un orthodontiste qui faisait des bagues transparentes, la justice était sauve : malgré les bagues révolutionnaires, on voyait tout. Les fils restent métalliques et brillent quand on sourit. Mais surtout, le relief de l'appareil reste un élément auquel on n'échappe pas. Sur ma photo de classe de 4ème (sur le portrait, pas sur la photo de groupe quand même, je vous rassure), on voit très nettement que sous mon sourire fermé se dessinent des vagues. La peau des lèves est tirée et on devine sous chaque petite bosse une bague de l'appareil. Très classe. Mais tous les autres étaient pareils de toute façon.

Le jour où l'on m'a délivrée de ma clôture, je pensais que cet instant resterait à tout jamais gravé dans ma mémoire comme celui de la félicité suprême de mon existence. Or ce jour a failli virer à la tragédie. Dans la foulée de la délivrance métallique, il fallait m'enlever mes dents de sagesse. Encore un rite initiatique de l'entrée dans l'âge adulte qu'on préfèrerait pouvoir sauter. Mon orthodontiste aux bagues transparents m'a envoyée chez son collègue le photographe de dent, pour savoir exactement où s'étaient cachées ces petites imbéciles.

Quelques clic-clacs radioactifs plus tard, je voyais mes dents en panoramique et surtout, la mine inquiète du radiologue. "Vous avez fait une mauvaise chute lorsque vous étiez enfant ?". Oui, non, enfin sans doute. Quel enfant n'est jamais tombé, franchement ? Son diagnostic express tombe : "Vous voyez ce trait vertical sur chacune de vos dents de devant ? Je crois que vous avez les quatre incisives fêlées. Il va falloir les enlever". Devant ma mine qui s'allonge considérablement, il ajoute d'un air paternaliste et enjoué : "comme ça, on pourra tout faire en même temps. (silence pesant) Mais vous savez, maintenant, on fait de très belles prothèses".

Je me voyais déjà avec un dentier à 15 ans. Le retirer tous les soirs pour le mettre dans un verre de Polident effervescent. Comparer les effets des différentes colles à dents. Expliquer à mon amoureux que non, là, on ne pouvait plus parler parce que j'avais enlevé mes dents. Ou le foutre à la porte dès 21 heures pour pouvoir me retrouver édentée en toute intimité.

Pour s'assurer du besoin réel de m'enlever 4 dents, il m'a renvoyée chez un autre confrère, sans doute spécialisé dans les fêlures d'incisive. Qui a eu la bonne idée de découvrir que finalement, je n'avais aucune dent fêlée mais qu'il s'agissait "d'un dessin superficiel de mon émail et sans incidence sur ma santé dentaire". Un truc dans le genre. Grâce à lui, j'ai sauvé mon sourire et mon sex appeal (dentaire tout du moins). Et depuis, j'essaie toujours de ne pas m'affoler en entendant des verdicts parfois alarmistes et trop définitif du corps médical.

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