12 juin 2007

Voulez-vous danser Grand-mère ? Voulez-vous valser Grand-père ?

Je suis sure - ou presque - que vous vous rappelez de cette vieille chanson de Chantal Goya. Quand j'étais petite et qu'on partait en vacances en voiture, on avait une cassette (le premier qui dit que j'imposais mes goûts musicaux de chiotte à toute la famille, je l'envoie en stage à la sous-préfecture de Verdun) sur laquelle était enregistrée cette chanson. Si ça m'a marquée, c'est parce que quand on partait en vacances, c'était pour aller chez mes grands-parents. C'est dire si cette chanson était alors d'actualité.

Je ne me rappelle pas très bien de mes grands-parents paternels, qui sont partis trop tôt. J'ai des bribes que je mets bout à bout, raccordées entre elles par les récits familiaux qui permettent de broder autour du connu.

Je me rappelle de leur maison et du jardin dont la configuration permettait des jeux sans fin. Je me rappelle d'un Noël, le dernier tous ensemble, où j'étais remontée dans le salon au milieu de la nuit pour attendre le Père Noël. Je me rappelle du piano dans la chambre. Je me rappelle de leurs voisins, qui avaient des sortes de perruches en cage (ou alors ce n'est que pure invention enfantine) et qui nous donnaient des Pimousse quand on allait les voir (ça ce n'est pas une invention). Je me rappelle qu'on ne voulait jamais rester chez eux après le déjeuner car il fallait y faire la sieste.

Mais d'eux, je ne me rappelle pas de grand chose. Alors que ma soeur se rappelle très bien du grand bureau de mon grand-père, moi je me rappelle des séances de maquilage de ma grand-mère le matin, quand je m'asseyais sur le tabouret de la salle-de-bains pendant qu'elle se dessinait les sourcils. C'est marrant, mais je ne me rappelle que du dessin des sourcils. Ce détail si insignifiant... et aussi de l'odeur de son rouge à lèvres, qui sentait le rouge à lèvres de dame, à l'ancienne. On voit tout de suite que ma soeur et moi avons eu très tôt des intérêts divergents.

Ah oui, il y a aussi ce jour où mon grand-père avait ramené ma cousine à son train. Qu'il avait voulu rester avec elle jusqu'au dernier moment. Et qu'il n'avait pas eu le temps de descendre du train avant que celui-ci ne quitte le quai. Qu'on l'avait attendu pendant au moins des heures parce que ma grand-mère ne conduisait pas. On était toutes les deux dans la voiture, sur le parking de la gare, sans savoir ce qu'il était advenu de lui. Heureusement, elle avait tout un stock de bonbons dans son sac à mains.

Quand elle est morte, j'avais 5 ans à peine. Je me rappelle qu'on m'a dit qu'elle était "partie au ciel". Et j'ai pensé que les infirmières ne pouvaient pas vraiment être sures qu'elle était morte, si elle n'était tout simplement plus là : partie au ciel ou partie se promener, comment pouvaient-elles savoir ?

Et quand j'ai fini par comprendre que les infirmières devaient quand même savoir ce qu'elles disaient, j'ai tout de suite eu cette image dans la tête, qui ne m'a jamais lâchée : ma grand-mère devait être allongée (attention, kitsch suprême à l'horizon) dans un énorme lit à baldaquin entièrement en cristal transparent, avec des rosiers rouges qui montaient le long de chaque colonne, le tout flottant tranquillement dans l'air au milieu d'autres lits à baldaquin. Mais le sien était le plus beau, parce que c'était le seul à avoir des roses rouges.

Pour mon grand-père, je n'ai même pas de souvenir comparable au trait de sourcil du matin. C'est incroyable et désespérant de voir qu'on puisse ne rien garder en mémoire à ce point. Pourtant, j'ai vraiment de très nombreux souvenirs d'enfance, bien plus précoces, mais pas d'eux. Je sais juste que quand lui aussi est parti, j'ai dit à ma maman que le médecin avait pu se tromper, que parfois, on croit que les gens sont morts alors qu'ils dorment juste très profondément.

Et puis voilà, on se rappelle du maquillage du matin et de bonbons... et c'est peut-être ça, finalement, l'important.

3 commentaires:

Unknown a dit…

Lire de suite, de façon non chronologique, les deux derniers billets m'a fait penser au roman de Brasillach "Comme le temps passe". Un livre que j'ai bien aimé, malgré les critiques, parfois justifiées, et malgré, bien sûr, les opinions de son auteur.

Mademoiselle Coco a dit…

M > en effet, comme il est dommage parfois que les écrivains ne se contentent pas d'écrire...

Anonyme a dit…

Amusant le lit de baldaquin en cristal. J'aime bien l'image.