01 février 2007

Le jour où j'ai rencontré mon premier énarque

Quand on veut faire partie de cette noble secte, la première rencontre avec un énarque est au moins aussi chargée en émotion que lorsqu'un élève de la Starak rencontre pour la première fois Pascal Obispo. Après la fin de la saison, les apprentis-stars sont tellement blasés que Madonna, Elton John et Aznavour réunis ne leur font plus aucun effet. De toute façon, ce sont devenus des potes et plus des idoles. Les énarques et moi, c'est un peu ça aussi. Mon premier a été un grand moment. Maintenant que j'en vois tous les jours et que mes amis en sont, ça ne me fait plus grand chose.

Mon premier énarque, je l'ai rencontré en stage. C'était mon premier vrai stage dans une ambassade, et j'étais très fière d'avoir décroché cette expérience de rêve toute seule comme une grande. Je venais de laisser ma première année de majorité derrière moi, j'étais un jeune et frêle esquif prêt à changer le monde.

En réalité, pour mes premiers jours, j'étais dans mes petits souliers, et je n'avais aucune idée de la façon dont tout cela pouvait bien fonctionner. Pour commencer, je n'avais aucune idée de l'heure à laquelle arriver, en l'absence de consignes de ma chef. Je décidai que 8h30 serait un horaire approprié, ignorant alors que les us et coutumes du poste diplomatique, et en particulier ceux de ma chef, étaient nettement plus tardifs.

Plantée comme un piquet au milieu de l'accueil de l'ambassade, j'attendais que quelque chose se passe, qu'on vienne me chercher par la main et qu'on me dise que "tout allait bien se passer". Une secrétaire a fini par prendre pitié de moi et a appelé une autre stagiaire pour m'occuper. A alors déboulé celle qui allait devenir plus tard la complice de folles soirées de salsa et de dejeuners mexicains endiablés, de sorties à Bratislava et de pauses-cafés bavardes. Pleine d'énergie et le sourire jusqu'aux lèvres, elle m'a rassurée : je n'allais donc pas, contrairement à mon micro-stage précédent, être la seule de moins de 50 ans à 10km à la ronde, et j'aurais des gens avec qui parler d'autre chose que des meilleures écoles de musique de la région.

Je suis encore engoncée dans ma timidité, mais elle me déride, me parle de ce qu'elle fait, des collègues, des autres stagiaires. "Ah bah tiens, justement, voici Gustave, le stagiaire ENA". A ces mots, mes jambes ont flanché, et j'ai senti que j'entrais dans une transe comparable à celle des fans de M. Pokora qui le voient enfin en concert. Moi, Coco, j'allais enfin rencontrer mon premier énarque... le moment était chargé d'émotion.

Là, vous devez vous dire que je suis quand même sacrément cruchotte. Vous n'avez pas tort. Enfin pas cruchotte mais très facilement impressionnable, c'est certain. Je croyais encore que pour être énarque, il fallait être hors du commun. Je sais maintenant que la plupart sont des gens relativement normaux. En tout cas, ce ne sont pas des gens anormalement anormaux. Ils sont normalement anormaux vous voyez. Ils ne sont pas comme tout le monde, mais dans leur genre, ils sont comme tout le monde. Bref, j'ai relativisé depuis. Mais ce matin-là, je ne relativisais pas du tout. Allait-il me parler ? S'abaisser jusqu'à me dire bonjour ?

Il a poussé la porte, et mon reste de jambes en guimauve a définitivement défailli : en plus d'être énarque, il était beau comme un Dieu. Coiffé comme un énarque certes (id est avec la raie sur le côté) mais sa petite vague naturelle lui donnait un air légèrement mutin. Il avait des traits fins et le plus beau sourire que j'aie jamais vu (il détient encore et toujours la palme d'or du sourire aujourd'hui). Et il m'a même dit bonjour. Pire : il a proposé que nous allions déjeuner ensemble, tous les trois, comme de vieux copains. A cette seconde précise, j'ai décidé qu'il deviendrait mon nouvel idéal masculin.

Forcément, le coup du "je suis béate d'admiration devant toi dès que tu ouvres la bouche ou bats d'un cil et je suis prête à devenir ta serpillère si tu le veux" n'a pas vraiment marché. On connaît mieux pour se rendre inaccessible. Et puis même si ça avait marché, notre relation aurait tourné court : j'étais tellement impressionnée devant lui que je n'osais ouvrir la bouche, et il détestait mon parfum. Nous partions mal.

J'ai appris un peu plus tard deux ou trois autres "détails" sur lui qui m'ont définitivement convaincue que nous n'étions pas du même monde, et que même mon idée de devenir sa serpillère était ridiculement déplacée. J'ai abandonné, après m'être ridiculisée un certain nombre de fois. Ne rigolez pas mesdemoiselles, je suis certaine que vous n'auriez pas fait mieux. Le statut de groupie aide rarement en définitive à se présenter sous son meilleur jour.

Depuis, j'ai connu beaucoup d'autres énarques : des hommes ou des femmes, des sympas ou des hautains, des intelligents ou des idiots, des cultivés ou des travailleurs, des beaux parleurs ou des timides maladifs, des beaux ou des moins beaux... qui ne me font plus aucun effet. Il y a autant de types d'énarques que d'énarques même. Mais celui-ci aura toujours le privilège d'avoir été le premier, et un premier énarque, dans une vie de jeune fille, ça compte.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour Mademoiselle Coco!!!!
Je découvre ton blog avec délectation!
J'ai déjà vecu cela, mais avec des fonctionnaires européens... la première fois, on est toute émue, puis après un petit séjour de 6 mois... le charme s'évapore un peu!

Mademoiselle Coco a dit…

Bonjour Marie et bienvenue ! Merci pour la délectation, ça fait toujours plaisir de faire plaisir :-) J'imagine bien que l'effet de l'énarque doit être bien comparable à celui du fonctionnaire européen, autre être mythique et chargé de symbolique (surtout quand on est jeune, qu'on découvre le monde et qu'on rêve de faire la même chose) !