04 janvier 2007

Le jour où ma vie a failli se finir

Plus je repense à cet épisode de ma vie, et plus je me dis que je suis heureuse d'être là où je suis aujourd'hui. Avec un tout petit peu moins de chance, je serais soit en prison, soit morte (ou un légume).

Vacances 2005, un rêve éveillé, plus d'un mois d'oisiveté totale à Oléron. Je découvre ma passion pour l'équitation et pour un certain jeune homme (affaire classée sans suite), je passe des journées à me faire dorer la pilule lascivement sur le sable chaud.

Charles arrive dans l'île, et mon rythme de vie change quelque peu. Avec lui et ses acolytes, ma tournée-découverte des boîtes oléronnaises, réputées pour leur chaude ambiance et leurs DJ renommés, commence. Celui qui conduit, c'est celui qui ne boit pas. En l'occurrence, moi. Juste un peu, en début de soirée, et après, c'est jus d'orange ou coca, sans rhum dedans.

Le jeudi soir, sortie au Moulin (j'aurais volontiers mis un petit lien pour que vous puissiez apprécié la hype du lieu, mais ils n'ont pas de site internet tellement c'est pour les VIP qui aiment se cacher). Les garçons avaient leur vélo pour rentrer et moi, la grosse voiture familiale. Programme sans alcool donc. Enfin presque. Si peu. Rien du tout.

Je pars vers 2 ou 3 heures du matin, me paume un peu sur les petites routes oléronnaises en sortant du port du Douhet. Je me retrouve à St Georges, pas du tout ma route. Je tournicote un peu. Ce que le hasard ne fait pas quand même. Ces quelques minutes qui auraient pu tout changer.

Je finis par me remettre sur les rails sans GPS, je reconnais la grande route nationale qui traverse l'île et me permettra de rentrer chez moi. A cette heure-ci, il n'y a personne. Enfin presque. Si peu. Rien du tout.

Je croise quelques voitures. Je me force à respecter les limitations de vitesse. 90 km/h alors que j'ai quasiment la route pour moi. C'est tentant... Et puis non, la dernière fin de soirée nous a montré que les gendarmes affectionaient particulièrement se poster pas très loin des hot spots (hinhinhin) de la vie nocturne touristique à l'heure des sorties de boîte. Je garde donc le pied léger. Mais 90 km/h quand même.

D'un seul coup, dans mes phares, je vois surgir quelque chose du bas côté. Quelqu'un. Un homme. Tout va très vite. Je vois qu'il a une barbe et une chemise bariolée. Il se jette sur ma voiture. Sous ma voiture. A côté de ma voiture. Enfin il est là, et il saute vers moi. Ca se passe en un millième de seconde.

Je fais un écart sans même réfléchir, pour l'éviter. Sans regarder si quelqu'un arrive en face. Ou si quelqu'un me double par la gauche. Il n'y avait personne. 2 secondes plus tard, tout était fini, on ne voyait plus rien et je tremblais comme une feuille, incrédule.

Je n'avais pas rêvé, il y avait bien quelqu'un qui avait vraiment eu l'air de se jeter sous mes roues, d'attendre que je sois là pour bondir de son fossé. Est-ce que je devais m'arrêter ? S'il m'a sauté dessus de la sorte, c'est peut-être qu'il a besoin d'aide ? Toute seule, à 3 heures, sur une route plutôt déserte, alors qu'un mec venait de... de... je ne sais même pas ce qu'il a fait, j'ai décidé de ne pas m'arrêter. Ma seule certitude, c'est que je l'avais évité.

J'étais presque arrivée chez moi. J'ai continué en respirant bien fort par le ventre comme ils apprennent en cours de chant à la Starak, trop en état de choc pour pleurer. Je venais d'avoir la peur de ma vie, sans que ça ne soit qu'une simple expression. Je me suis arrêtée dans le jardin. J'ai repensé à ce qui venait de se passer de façon si confuse. J'ai appelé mes amis les gendarmes pour leur expliquer que "quelqu'un" semblait être sur le bord de la nationale. Qu'il avait peut-être besoin d'aide. Que je l'avais évité mais que j'avais eu le sentiment qu'il avait essayé de se jeter sous mes roues.

La dame au bout du fil, très polie, très patiente m'a écoutée. J'avais envie de lui dire "mais je ne suis pas folle" pour reprendre une expression désormais bien connue. Elle m'a rassurée, m'a dit qu'elle envoyait quelqu'un vérifier. Mais je pense qu'elle ne m'a qu'à moitié crue. Elle n'a pris ni mon nom, ni mon numéro. Je sais, ils ont tout ça de façon automatisée. Mais quand même.

J'ai beaucoup repensé à cette histoire. Le soir même, la nuit même, le lendemain, toute la semaine, et aujourd'hui encore. Je n'arrive toujours pas à m'expliquer ce que fait un piéton barbu en chemise bariolée à 3 heures du matin au bord d'une route nationale. Je n'arrive toujours pas à m'expliquer ce qu'il a vraiment voulu faire. Je n'arrive pas à m'expliquer comment tout a pu finir aussi bien.

Un tout petit verre ou quelques km/h de plus, et j'aurais eu quelques secondes de réflexe en moins. Qu'il ait essayé de se suicider, qu'il ait voulu demander de l'aide, ou qu'il ait été complètement stone, c'est MOI qui étais dans la merde (oui bon, lui aussi s'il était mort mais si c'était son but...). Il y a non seulement ma conscience, qui ne m'aurait plus jamais laissée dormir, et aussi un séjour en prison, que j'imagine inévitable en ces périodes de répression intensive en matière de sécurité routière.

J'imagine les gros titres de la Charente libre le lendemain : "ivre, elle rentre de boîte et tue un innocent". En lisant ce genre ce choses, on imagine toujours la tête que ces ignobles bêtes humaines peuvent avoir. Et on ne les voit jamais avec la nôtre. Boire jusqu'à ne plus pouvoir conduire, quelle sottise, jamais ça n'arriverait.

Pourtant, il suffit de deux verres pour que tout dérape, pour qu'un connard soit au mauvais endroit quand vous y passez. Il suffit que vous ayez accepté finanement ce mojito qui vous tentait tant. Il suffit que vous soyez à 0,52g d'alcool dans le sang, pas très difficile à atteindre pour une nénette de ma corpulence. Il suffit que... et vous êtes foutu.

J'imagine l'interrogatoire de la gendarmerie qui n'en finit pas, pendant que l'homme polytraumatisé agonise quelque part entre l'île et le continent, arrivé trop tard aux urgences de Rochefort. Moi leur affirmant qu'il a délibérément choisi de se faire renverser, et eux pensant que j'ai la ligne de défense la plus débile qu'ils aient jamais entendue. L'homme n'a pas laissé de lettre, sa femme éplorée jure qu'il n'était pas dépressif, et je finis par moisir à Fleury-Mérogis. Tous mes rêves d'avenir qui s'effritent, une quasi-mort.

Mon autre scénario catastrophe quand je veux me faire peur, c'est la voiture en face. Je n'avais jamais fait un écart aussi franc et aussi rapide, je n'avais jamais fait d'écart sans vérifier dans mon rétroviseur intérieur, puis extérieur, puis par un contrôle direct par dessus mon épaule, comme on me l'a appris à l'école de conduite. Là, j'ai tourné le volant, le plus rapidement possible et le plus violemment possible. Je ne voulais pas le tuer p*** de b*** de m***. Et s'il y avait eu une voiture en face ? J'imagine déjà l'état de mes dents après un choc frontal à 90 km/h des deux côtés. J'imagine le coup de fil des gendarmes à mes parents. Légume ou morte, quelle est la différence ? Ah si, pour eux, c'est très différent, mais sur le coup, on n'y pense pas.

Dans la voiture en face, peut-être un mort aussi, encore plus innocent que moi. Là encore, les gros titres du lendemain sur les jeunes inconscients qui prennent le volant. Rien sur l'espère d'énergumène à cause de qui tout cela est arrivé, qui a disparu dans la nature. Personne ne comprend pourquoi je roulais à gauche, moi qui ne suis pas anglaise. L'été d'après, des petites silhouettes noirs bordent la route en face du centre équestre à la hauteur duquel tout s'est passé pour rappeler que "la route tue".

Bien sûr, tout cela est le récit d'un non-évènement. Il n'est finalement rien arrivé. Je n'ai jamais réussi à rentrer dans la gendarmerie le lendemain pour demander s'ils avaient retrouvé celui qui se jetait sous les voitures des gens dans la nuit.

Je ne peux pas m'empêcher de penser que cette nuit-là, Dieu était de mon côté et qu'il m'a beaucoup aidée. En mettant sur ma route des tas de gendarmes les jours précédents (et oui, la peur du gendarme, ça fonctionne pour respecter les limitations de vitesse). Parce que mes minutes d'errance avant de trouver ma route m'ont peut-être permis d'éviter le choc frontal avec un 4X4 doté d'un pare-buffle. Parce que j'ai des amis suffisamment bien pour penser à prendre des boissons sans alcool pour les soirées et éviter les "allez, prends un petit verre, juste un petit verre, ça va pas te tuer !".

Comme dans un caléidoscope, chaque petit élément se met à sa place pour créer une réalité née du hasard. Il suffit de le faire bouger d'un chouïa pour qu'un tout autre motif apparaisse, parfois plus beau mais parfois pas, une autre réalité. La Providence m'a fait cadeau d'une jolie réalité ce soir-là, mais je ne peux m'empêcher de me demander un jour sur deux ce qui se serait passé si... Les autres jours, je me demande ce qu'il pouvait bien foutre à cet endroit, cet inconscient. J'aimerais pouvoir lui dire qu'ON NE FAIT PAS CA AUX GENS p*** de b*** de m*** (bis). Que s'il veut détruire sa vie, il doit le faire sans l'aide de personne. Mais forcément, je suis sure qu'il ne lit pas ce blog.

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