09 juin 2006

Un ange aurait bien fait de passer

Il y a quelques jours, un soir de lassitude intellectuelle extrême, je suis enfin rentrée dans le dépôt-vente juste à côté de chez moi. L'avantage des dépôts-ventes de mon chic quartier, c'est qu'ils ont des tas de choses très jolies à des prix presque raisonnables. Je n'avais jamais vu de vrai tailleur Chanel juste sous mon nez. Et bah ça, c'est fait. Il y a en fait tous les vêtements que les grandes bourgeoises ne peuvent pas se permettre de garder deux saisons de suite, trop ringard. C'est vrai, ça se démode tellement vite Ventilo la Colline... Pfff... Enfin bon, je ne dis trop rien, ça devrait pouvoir faire mon bonheur à moindre coût.

Finalement, cette fois-ci, pas de petit bonheur vestimentaire en vue. La boutique est tenue par l'une de ces grandes bourgeoises, la cinquantaine, du genre à appeler toute personne qu'elle connaît depuis plus de 10 mn "ma chérie". J'y ai échappé, mais pas ses trois copines, dont je n'ai pas réellement réussi à déterminer si elles étaient là pour refourguer leurs dernières vielleries griffées, juste papoter, aider à la vente en quadrillant le magasin (1 vendeuse par m2, pour être sûre de coincer la cliente indécise) ou shopper comme moi. Elles semblaient faire tout cela à la fois à vrai dire. Sauf une, un peu plus jeune, magnifique. Une très grande brune, à l'accent espagnol ou brésilien (sans vouloir jouer avec les clichés), qui apportait ses vêtements de l'année dernière. Conversation normale de copines. Je rentre dans la cabine d'essayage. Elle quitte la boutique. Et là, j'ENTENDS celles qui restent...

Pas de languedeputage en vue. Mais des petites remarques "oh, elle est vraiment incroyable X !" "ça c'est sûr ! Je ne comprends pas comment son mari peut supporter" "elle dit qu'il est au courant, moi ça m'étonnerait" "si si, il est même d'accord" "elle dit que leur couple va encore mieux depuis" "quand on commence à faire ce genre de choses, c'est que quelque chose est déjà bancal" "elle m'a proposé de la suivre une fois. J'ai refusé" "oh oui, je ne pourrais pas non plus" "tu sais ma chérie, elle m'a dit 'viens, juste pour voir', mais il y a des choses que je n'ai pas envie de voir" "et ils sont comment les gens qu'elle rencontre là-bas ?" "elle dit que ce sont des gens très bien" "il faut dire que c'est très sélectif" "mais tu imagines, croiser quelqu'un que tu connais, ah non, très peu pour moi" "enfin quand même, son mari qui accepte ça" "mais il l'accompagne pafois aussi tu sais" "et il la voit avec tous ces hommes" "s'il n'y avait que des hommes..."

J'ai fini par sortir de ma cabine d'essayage, en me demandant si j'avais bien compris ce qu'il y avait à comprendre. Ca me semble tellement énorme qu'elles aient parlé aussi librement des habitudes sexuelles de leur copine juste à côté de moi. Bon, visiblement, la copine en question ne fait pas grand secret de ses activités. Mais quand même... En quittant la boutique et ses trois papoteuses, je me demandais comment je pourrais regarder cette fille de façon impassible si j'étais amenée à la recroiser. Ce n'est pas tant que je sois profondément choquée par ce qu'elle fait, mais je le suis en revanche de le savoir. D'avoir eu accès aussi direment à la vie sexuellle d'une inconnue sans avoir rien demandé. Et sans qu'elle le sache.

Naturellement, ça n'a pas manqué, mon quartier étant un village, je l'ai revue 3 jours plus tard au Franprix juste en bas de chez moi. Elle m'a sorti son sourire du dimanche, sans que je puisse déterminer si c'était l'automatisme d'une très belle femme habituée à séduire tout le monde tout le temps, ou si c'était de la sympathie exagérée en signe de reconnaissance. Mais mon regard a foncé vers le sol. Elle a dû être déçue que je ne m'enflamme pas pour elle comme le font les autres d'habitude. Dans ma cabine, j'aurais préféré qu'un ange passe.

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